lundi 12 mai 2025

Clémence et Anatole, quelques mots rares

C’est dans une vallée enclavée, au pied des sommets couverts de ramades laineuses que vivaient Clémence et Anatole, dans leur vieux mas au toit d’ardoise, tordu par les ans. Dans la pièce principale, un vieux poêle boucanait trois saisons sur quatre  et laissait s’échapper des volutes aussi épaisses que la brume du matin. Clémence, une femme qu’on aurait pu qualifier de pecque tant sa langue était acérée et ses jugements expéditifs. Elle dédaignait les bavardages entre les femmes du village pour aller traîner ses bottes sur les sentiers abrupts à la recherche de salange, cette espèce de sel rapporté par les oiseaux sur les plantes de montagne, aux vertus qu’on disait aphrodisiaques. Elle  le faisait infuser, soir après soir dans l’espoir de raviver la flamme peu olympique d’Anatole, son compagnon depuis si longtemps.

Lui, Anatole, était un ragotin des champs, petit, râblé, la moustache raide comme des tiges de chardon. Plus jeune, il avait pondu une espèce de roman aussi convoluté qu’un nid de vipères en pleine partie fine. Les pages de son manuscrit jaunissaient sur une étagère vermoulue et s’étaient conglutinées sous l’effet de l’humidité. Il passait ses journées à bricoler des brimborions en bois mal dégrossi, des animaux improbables et autres coquecigrues désarticulées qu’il n’arrivait pas à vendre au marché du bourg, sous un étal d’orain piqué. Clémence s’en moquait souvent en le traitant d’oppugnateur de l’inutile incapable de ramener le moindre franc. Un jour de marché, un chalin frappa le village et Anatole dit à sa femme : pas la peine de me reprocher de ne même pas être un tirelaine, regarde, il fait chaud, aujourd’hui.

Si chaud que lorsqu’il admira la brigandine qu’ils avaient jadis dénichée dans une brocante, les joues soudain de couleur nine, il eut un retour d’excitation pour Clémence et sentit monter en lui une envie de se venger de toutes ses avilances comme ça ne lui était pas arrivé depuis si longtemps. Un désir sourd qui vous brûle comme le feu sous la neige, mêlé de rage rendant son sexe aussi tripoléen que ne devait l’être celui de sa femme. Il la baisa comme il put, maladroitement mais fermement et elle, surprise, se laissa faire en jurant de se venger dès le lendemain. Dans un petit bocal, les poissons jugulibranches tournaient et retournaient sur eux-mêmes sans se rendre compte de ce qui se passait sous leurs yeux à moitié éteints, ils avaient trop faim. Ce passage de la vie de Clémence et Anatole est rude comme leur quotidien un peu miséreux.

https://cestecritbysibal33.blogspot.com/

http://sibal33.canalblog.com/

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

souvent vers 4h30

Tout le monde croit que je publie mes billets vers 4h30, chaque matin, en réalité, c’est faux, je triche parce que c’est plutôt vers 4h45. V...