Saperlipopette… Ce matin, Jean, très attristé, regardait sa salopette comme on observe une vieille photo jaunie. Une photo pleine de souvenirs qu’on voudrait retenir mais qui s’effacent et s’effaceront malgré tout. La boue au niveau du genou, témoin d’une chute de la veille et la trace rouge de la tomate sur le plastron, un relief des spaghettis à la bolognaise qu’il avait mangés hier soir. Le comble, c’est qu’il n’aimait pas spécialement ça, les spaghettis à la bolognaise mais c’était le plat préférée de son père. Bref, ce n’était pas que des simples taches : c’était une marque, le sceau d’une journée passée sur une nouvelle, qui s’annonçait déjà trop lourde. Jean avait l’impression d’avoir toute la misère du monde dans les deux bretelles.
Jean, particulièrement fatigué, sentit cette lassitude sourde, cette petite douleur au creux du ventre qui ne dit rien mais qui pèse comme un poids invisible. « Voilà où j’en suis », pensa-t-il, en se demandant s’il y avait encore une chance, une lueur, quelque chose au-delà de cette salopette qui se salopait elle-même. S’il y aurait des jours meilleurs avec la possibilité de porter sa salopette préférée totalement immaculée. Propre comme jamais. Mais il avait cette impression désagréable que ces taches ne partiraient jamais. Ne disparaitraient pas. Au contraire de sa jeunesse et de ses belles années. La douce époque où ses parents étaient encore en vie et en relative bonne santé. Comme invincibles. Pourtant, dans le désordre de sa pensée, il y avait un peu d’humour, cette ironie douce-amère qui le faisait sourire malgré tout. Pour ne pas pleurer.
« Saperlipopette, je suis vraiment le roi des maladroits », murmura-t-il, presque comme une caresse, un souffle léger contre la gravité du moment. Il avait rendez-vous et il se savait attendu. Même si son cœur battait au rythme de sa mélancolie et de ses doutes, il enfila son blouson et sortit de chez lui. Personne ne faisait spécialement attention à lui. Puis, lors de l’entretien, il présenta ses excuses pour sa tenue tachée. Le recruteur lui envoya un sourire, apparemment sans moquerie, comme s’il avait compris que ces taches avaient une histoire. En sortant, Jean se sentit un peu plus léger. Fragile mais vivant. Parfois, saloper sa salopette, c’est accepter que la vie ne peut pas toujours être propre et nette et que malgré sa tristesse générale, ces deux éclaboussures donnaient un peu de couleurs à sa véritable nature, toujours un peu terne. Grise. Transparente.
https://cestecritbysibal33.blogspot.com/
http://sibal33.canalblog.com/
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire