Nous partîmes 500 dans un bateau appelé Passé Simple, un bateau quelque peu ivre, un vaisseau sans mémoire et nous nous rendîmes vite compte que nous avions oublié les cartes. Le bâtiment, dont le bois lui-même semblait soupirer d’anciens naufrages vogua sur les premières vagues en semblant hésiter. Le vent, son compagnon le plus ancien, soufflait par saccades, d’une façon un peu tonitruante comme s’il voulait que nous ne puissions pas nous entendre entre nous, membres de l’équipage. Ce matin-là, flou comme le rideau humide d’une douche de mobile-home, peignait des reflets déchirés sur nos visages. Les voiles, empreintes des embruns, penchaient mollement sur les mâts penchés, ivres eux aussi de tant de cieux mélangés. Nous essayions de ne pas montrer notre inquiétude.
Pour donner le change, parfois, nous riions, plus par réflexe et comme pour conjurer un certain sort et nos rires étaient comme des galets lancés pour faire des ricochets, ils rebondissaient sur les eaux tumultueuses du golfe que nous nous apprêtions à quitter. Certains d’entre nous essayaient de parler aux vagues, d’autres aux mouettes et une poignée d’insouciants tendirent des filets pour capturer des morceaux d’horizon. La mer, notre complice rusée, effaçait nos traces dans les écumes des vagues de plus en plus houleuses. Elle nous fit oublier tous nos serments, avala toutes les chansons que nous essayâmes de fredonner, en vain et le bateau, tanguant sous nos pieds mal assurés, nous sembla animé d’un désir de dérive plus fort que tout gouvernail. Nous étions partis, tous les 500.
Cependant, à chaque aube, lorsque nous recomptions les hommes, il en manquait, probablement égarés dans une courbe d’eau ou happés par une étoile trop gourmande. Nous nous jurâmes de tenir coûte que coûte mais la mer était plus forte que nous. Le bras de fer qu’elle nous imposait sans cesse nous ridiculisa et nous décidâmes d’arrêter de jouer. Le vent, la houle et la coque du bateau qui grinçait délièrent tous nos espoirs comme pour nous soulager d’un fardeau inutile. Puis, nous cessâmes de nous compter et de compter sur nous. Mieux valait ne plus savoir. Nous n’avions plus d’île promise, seulement la certitude d’être allés trop loin et même revenir nous sembla n’être qu’une illusion. Au dernier soir, le bateau sembla s’endormir. Nous ne revînmes qu’une poignée. Dans un silence fondu dans l’eau.
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