Saperlipopette... Sous le ciel gris d’un matin pressé, Jean, toujours rêveur, toujours maladroit, contempla l’injustice qui s’était abattue sur sa salopette. Une injustice en tissu. Une tache aux couleurs variées. De la boue. De la tomate dont l’éclat vermeil primait sur le reste. Son vêtement préféré était comme un tableau éclaboussé par une main invisible, celle d’un peintre capricieux des jours sans repos. Ou celle d’un apprenti artiste peintre. Ou celle d’un enfant qu’on a autorisé de jouer avec ses gouaches. Mais Jean, même un peu chagriné, ne s’énerva pas et comme toujours, il prit les choses avec une certaine philosophie. Une tache, même aussi voyante, c’est la preuve qu’il se passait des choses dans sa vie. Et Jean décida que finalement, il porterait sa salopette malgré tout.
Sur le coton un peu défraichi, il sentit la mémoire des pas trébuchants, des aventures avortées, des courses folles et des rires éclatés dans l’air parfois frais de ce mois de novembre. À chaque tache, une histoire. Ou une chanson. Sur l’air parfois guilleret des ritournelles. Et parfois, plus dramatique des promesses effilochées. Et du temps perdu. Celui qu’on ne rattrape guère, celui qu’on ne rattrape plus. Saperlipopette, murmura-t-il, légèrement perplexe. Et pourtant, la salopette portait ses taches comme des cicatrises, avec une certaine noblesse un tantinet désinvolte. C’était comme le témoignage de certains désordres mais ça ne le dérangeait pas outre mesure car la vie, c’était ça, aussi. C’était ça, surtout. Et Jean savait et Jean aimait danser avec toutes les confusions. Et la lune.
Enfilant son vêtement maculé, Jean prit la route, le cœur battant sous la toile froissée. Les regards étonnés qu’il croisait n’étaient que les étoiles dans la nuit de son chemin. Chaque pas était un poème, un défi. Chaque sourire esquissé, une victoire contre l’ennui. Il arriva enfin à son rendez-vous avec le recruteur, juge des futurs incertains. Jean déploya son histoire, brodée d’honnêteté et de taches rebelles. L’embaucheur fut séduit : « Ce tissu sali raconte la vérité d’un homme qui n’a pas peur de se salir les mains. » et l’homme se mit à rire légèrement et ses éclats furent comme une pluie douce à Jean. Une ondée lavant ses doutes, ébouriffant les faux-semblants. Et dans ce temps suspendu, la salopette devint habit de lumière et Jean, le poète des imperfections y trouva sa place.
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