Ce matin-là, Jean débarqua essoufflé, rouge comme une pivoine, les bottes pleines de boue, sa salopette jadis bleu jeans transformée en palette de peintre impressionniste torturé. On aurait pu penser qu’il s’était roulé dans un champ de betteraves puis plongé dans une piscine de chocolat fondu avant de faire des étirements dans une immense marmite d’épinards en train de fondre. D’ailleurs, il était vert de rage car ça n’était pas de sa faute s’il était autant mal coloré. « Je vous le jure, ce n’était pas de ma faute si ce cochon rose bonbon m’a foncé dessus comme un porcené (oui, un mélange de porc et de forcené), chef ! » Bien sûr, ce dernier, blanc comme un linge détonnait passablement face à Jean et il n’y croyait pas beaucoup à son alibi pour ses deux heures de retard. Finalement, quelque part, ça l’amusait un peu, le patron.
« Tu ne vas pas me refaire le coup du cordon bleu, Jean, j’espère ‽ lança-t-il à Jean, noir de honte et rouge de confusion, qui en plus, sentait une coulure de violet sur sa joue gauche. Ce n’était pourtant pas la première fois que Jean se retrouvait peinturluré de la sorte. Au boulot, les gens le surnommaient Jean-la-Bariole, comme s’il sortait d’un tableau de Kandinsky. Mais Jean n’en voulait jamais aux autres de se moquer (un peu) de lui. Sauf la fois où il s’était mis dans une colère noire car on lui avait fait croire qu’il avait un ticket avec la rousse incendiaire de l’accueil. Jean était quelqu’un de particulièrement bonhomme. Et pour oublier ses malheurs, après le travail, il jardinerait. Il avait la main verte. Et Jean restait un optimiste à toute épreuve : il voyait la vie plutôt en rose et avait rarement des idées noires. Même les jours les plus gris.
Jean aimait raconter des histoires aux enfants qui l’aimaient beaucoup parce qu’ils avaient le même univers, un monde dans lequel le pain est violet, les vaches jaunes et les arbres à rayures bleues et blanches. À la fin de la journée, Jean lava sa salopette à la main avant de l’étendre à sa fenêtre. Elle dégoulina un peu en gris sur la fenêtre de sa voisine du dessous. « Jean, tu aurais dû la laisser comme ça, ta salopette au lieu de couler sur ma fenêtre. » Au fond de lui, Jean restait persuadé que la vie méritait d’être coloriée et le cœur rose saumon, il enfila une chaussette jaune et une chaussette marron et descendit siffler dans la rue, fier comme un paon en habit de lumière. « Oh, un chien qui a fait kaki sur le trottoir… » Et, avec plaisir, il essaya de s’imaginer en quel Schtroumpf il pourrait se sentir bien. « En Schtroumpf peintre ou en Schtroumpf poète ? »
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